La chute
Je me penche par la fenêtre et je tombe. Douze étages, c'est rien, cela me laisse le temps d'apprendre à voler. J’attrape quelques pigeons affolés pour m’accompagner. Quand je serai mort, ils emporteront mon âme et la disperseront en particules de fientes blanches.
Dans la chute, les rencontres sont rares et les personnes croisées sont trop absorbées à rédiger leur testament pour prendre le temps de vous saluer. La vielle du 15éme me bouscule et passe toute recroquevillée sur ses souvenirs. J’aurai voulu lui hurler que la vie va recommencer mais ma bouche soudée d’extase refuse les mots. Un petit signe de ma main accompagne mamie dans sa descente vers le point fixe où se réunissent les ombres. La fille mère du 8 ème a jeté son nourrisson à l’unisson de nos chutes. Je lui en suis gré, j’aime la compagnie des enfants lorsqu’ils n’ont rien à attendre de notre pitié. Ses yeux noirs n’ont pas de nom et ont déserté les certitudes. Sa tristesse est une épidémie qui me gâche mon plaisir, d’un coup de pied, je l’écarte. Ses rebonds maladroits sur les jardinières de balcon me rappellent un chien qui, happé par un train, n’en finissait pas de m’injurier par des jappements plaintifs. Je suis distrait et, lorsqu’elle me saisit la main, je trouve à mes cotés la gamine du 10éme. « J’ai sauté dans le ciel » me dit-elle. C’est gênant, que vont dire les parents lorsqu’ils nous trouverons écrasés et ne sachant démêler des deux corps le vrai du faux. Je respecte trop la vérité pour me prêter à cette confusion des genres. Pour l’empêcher de me suivre, je lui crache des options morales et des insanités qui la dépouillent de ses désirs. Affolée, égarée dans les doutes, l’image du ciel se déchire dans sa poitrine. La douleur des mots dévoilés dissèque sa résolution en un bloc de pierre friable, prêt à éclater et se détruire pour ne plus jamais rêver.
Enfin seul, j’attends que le temps et l’espace se plient pour offrir à mon corps la dalle de béton.