Quand j’étais enfant, je crevais les yeux des mouches. Leurs vols libres et insouciants m’affectaient terriblement, ils me renvoyaient sans cesse à mon enfermement ; celui que j’avais construit sur les certitudes du savoir des livres. En heurtant les murs, j’espérais que mes mouches aveugles découvrent les prémisses de la conscience. J’aurais ainsi pu partager mes doutes et mon désarroi. Tant de questions me harcelaient. Les mouches ne furent pas très coopératives, à la moindre occasion, inconscientes de la vie et de la mort, elles s’échappaient par la fenêtre.
Mes animaux proches, par l’affection qu’ils me témoignaient, se portèrent spontanément volontaires pour être aveuglés. Percer les yeux du poisson rouge ne posa aucune difficulté, il était déjà habitué à tourner en rond dans son bocal et cela ne changea en rien son habitude. Le chat ne sortait que la nuit et me dit-il n’avait nullement besoin de ses yeux, sa lucidité sur les Êtres lui suffisait à trouver son chemin. Le chien accepta avec résignation, son manque de confiance en lui-même l’avait déjà rendu quasiment aveugle. Je ne sais de quelle déficience il avait la culpabilité mais il espérait de mon acte irrémédiable la rédemption de son état. Mon forfait salvateur accompli, mes compagnons ne furent affectés d’aucun regret, ni de cette mélancolie que la perte de la vision insinue parmi les hallucinés.
J’ai commencé à m’égarer dans mes révélations lorsque j’ai désiré en étendre à mes parents les bienfaits. Il me fallut l’aide d’un somnifère puissant, administré dans la liesse d’une bonne résolution, pour réussir à emporter leurs convictions et leurs yeux. Ils n’eurent aucun besoin de se réveiller, je leurs avais offert la nuit éternelle dans laquelle ils pouvaient se fondre et se multiplier à l’infini. Je les enviais de pouvoir accoster l’inaccessible et de me laisser écartelé entre le désir de les rejoindre et la nécessité de continuer.
Sans doute, dois-je apparaitre comme un prosélyte malsain que de recommander à chacun de répandre le bien autour de lui et de joindre le geste et la bonté dans la pratique de crever les yeux à son entourage. Mais, je peux vous assurer que tout ce qui est inscrit ne résiste pas à la disparition de la vision et que tout ce que vous saviez se dilue dans l’obscurité pour laisser place aux rêves ou aux cauchemars.